lundi 21 décembre 2009

Jeune pousse : Tyondai Braxton

J'avoue que, quand j'ai compris que le thème de ce nouveau rendez-vous du Z-Band serait "Jeune pousse", j'ai eu un moment de panique. En effet, j'ai beau essayer, je n'arrive pas à m'intéresser, ou alors pas longtemps, au jazz actuel. Trois options s'offraient donc à moi :
- passer mon tour en espérant que le prochain thème me passionne plus.
- faire l'hypocrite et dénicher un musicien de jazz actuel qui ne me déplaise pas trop, sachant que je ne l'écouterais qu'à cette occasion.
- parler d'un musicien qui n'a aucun rapport avec le jazz.


J'ai choisi, bien sûr, la troisième option, à ceci près que Tyondai Braxton a quand même un petit rapport avec le jazz : c'est le fils d'Anthony Braxton ! Petit rapport ? Ben oui... Anthony lui-même n'a qu'un petit rapport avec le jazz, tel qu'on l'entend généralement.
Au risque de m'attirer des commentaires désobligeants, je vais préciser ma pensée. Pour moi, le jazz, en tant que genre musical, a connu son apogée dans les années soixantes avec Coltrane et le free, et a ensuite disparu, dissous dans le rock le plus avancé (celui de Zappa, de Soft Machine...) et dans la musique savante contemporaine (voir les rapports qu'entretenaient Braxton justement, et toute l'AACM, avec la musique de Stockhausen, Cage et consort). Ce qui est resté et qui a continué à être appelé jazz, n'évolue plus, faute de grands innovateurs. Le grand public considère comme innovatrice et étrange une musique qui existait déjà quarante ans auparavant. Et je ne parle pas du revival hard bop, dont l'intérêt m'échappe.
Regardez le programme de n'importe quel festival dit "de jazz", et vous trouverez, pèle-mèle, du blues, de la pop "jazzy", des musiques du monde, quelques vieilles gloires évidemment, mais rarement de l'innovation.
Il faut se rendre à l'évidence : cette musique est morte, et une jeune pousse, avec l'étiquette "jazz" ne peut-être, au mieux, qu'un rejet, dont tous les férus de botanique savent qu'ils ne seront jamais aussi beaux que l'arbre dont ils sont issus.

Bon ! Ceci étant dit, comment faudrait-il donc appeler la musique innovatrice d'aujourd'hui ? Car elle existe évidemment !
Duke Ellington disait à Dizzie Gillespie : "Pourquoi les laisses-tu appeler ta musique be-bop ? Moi j'appelle tout simplement la mienne Ellingtonia !". Rahsaan Roland Kirk, comme Cecil Taylor, refusait l'appellation Jazz et préférait "Great Black Music". La musique créative d'aujourd'hui est multiforme mais on se rend compte, en parcourant les blogs, que les amateurs de free jazz aiment généralement aussi le free rock, le krautrock, les musiques électroniques, les minimalistes, la musique savante contemporaine, tout ce que le site Néosphères appelle "les sphères de la nouvelle musique".
Et c'est bien à ces sphères qu'appartient Tyondai Braxton, comme son père, mais avec moins de jazz et plus de rock.
Jetons un oeil aux multiples étiquettes que l'on colle à sa musique sur allmusic : avant-garde, jazz, pop/rock, experimental, creative orchestra, alternative/indie rock, prog-rock, post-rock, neo-prog, math-rock ! La dernière est savoureuse mais assez transparente : du rock mais affreusement complexe ! Moi, j'appelle ça tout simplement de la musique créative d'aujourd'hui et, quelques fois pour simplifier à outrance, de la Zorn-music, en hommage à la grande figure de ce genre de musique : John Zorn.
La logorrhée verbale que vous venez de lire, sauf si, effrayé, vous avez zappé jusqu'à ce paragraphe, masque mal le peu de renseignement que j'ai sur Tyondai Braxton. Je n'ai même pas été fichu de trouver sa date de naissance ! Heureusement, sa musique parle d'elle-même.

Pour commencer (enfin !), un album parait en 2002, "History that has no effect", dont voici le seul extrait que j'ai pu trouver, et c'est, sans doute l'un des moins étranges de l'album :

Ce disque est une pure merveille, d'une puissance sonore incroyable, fait de boucles électroniques et de guitare saturée, aux ambiances très variées et originales, et suffirait déjà, à lui tout seul, à mettre Tyondai sur un piedestal, si le meilleur n'était pas à venir...

Et le meilleur, c'est Battles, un quatuor de rock dont la musique s'inspire à la fois de Zappa et de Spike Jones, pour le côté cartoon. Battles a d'abord sorti, en 2004, deux Ep qui ont fait sensation. Je me souviens qu'à cette époque, si vous tapiez "Battles" sur google, vous n'obteniez quasiment rien comme information. Depuis 2007 et la sortie de leur premier album, "Mirrored", il est plus facile de tomber sur eux. On trouve, sur Jiwa, l'album entier et, sur Youtube, quelques superbes vidéos. En voici quelques exemples suffisamment évocateurs :





Attention, cet album sublimissime peut provoquer une addiction grave !

Et ce n'est pas tout ! Parallèlement, du moins je l'espère, tant je n'aimerais pas voir disparaître le groupe Battles après un seul album, Tyondai Braxton a sorti en 2009 un disque en solo, intitulé "Central market", qui est une pure merveille de musique orchestrale, dont le seul défaut est la brièveté (34 petites minutes !), qui doit autant à Steve Reich ou Stavinsky qu'à Brian Eno. Je n'ai, malheureusement, pas pu trouver d'extraits, mais voici tout de même une vidéo très intéressante, ou Braxton parle de son oeuvre :



Voilà ! J'en ai fait le tour, et je retourne l'écouter en attendant, la langue pendante, le prochain opus de ce petit génie.
N'oubliez pas d'aller faire un tour sur les superbes blogs de mes collègues du Z-Band :

Jazz Frisson : Parc-X

Jazz à Berlin : Peter Van Huffel

Jazz à Paris, Mutine Hélary

JazzOcentre : Benoit Lavollée Trio

Ptilou’blog : Nenad Gajin

Maitre chronique : Stabat Akish

4 commentaires:

  1. Hello Bill
    Petit pb : sur mon micro, le premier extrait dure 16 sec et non les 8 mn annoncées.
    Que dois-je faire, Doc ?

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  2. Superbe découverte !!!

    Le visuel du deuxième clip des battles est dément.

    G bien apprécié la méditation sur le jazz & la creative music, & je plussoie : Jazz is not dead, but it smells funny.

    Je fais la promo de la jeune pousse sur mon blog illico !!!

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  3. Analyse que je pourrais partager sur une certaine fossilisation. Il est de fait qu'il n'y a pas un Coltrane, Ornette, Ayler, Dolphy qui officie en ce moment.
    En revanche, sans figure de proue d'exception, cette musique connaît une évolution radicale avec la "musique improvisée", qui certes n'est plus "bleue", qui frôle les musiques contemporaines ou électroniques, mais qui demeure du jazz, tendance "plus free que moi tu meures".
    Merci de ta franchise Bill.

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  4. Pour écouter des extrait de l'album Central Market

    http://warp.net/records/tyondai-braxton/new-album-central-market

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