Dans les années 90, le monde entier émerveillé...euh, non j'en fais trop là, le monde du jazz émerveillé... non, c'est encore trop, les amateurs de jazz mainstream pasteurisé émerveillés... là, ça le fait ; ces amputés des sens, et quelques-uns quand-même qui voyaient plus loin que le coin de leur oreille (pas facile ça!), découvraient, en même temps que James Carter, qui est à Coltrane, Sanders, Ayler ou Barbieri ce que le babybel ( rond, calibré, sans odeur et sans saveur) est au munster... découvraient donc Craig Taborn, un nouveau pianiste talentueux qu'on imaginait un peu faire une carrière à la Andrew Hill, c'est à dire un jazz intelligent mais sans dépasser la ligne blanche.
Grossière erreur ! Taborn ne faisait chez Carter que ce que son patron lui demandait de faire, et certes il le faisait suffisamment bien pour attirer l'attention, mais Taborn n'a rien d'un artiste mainstream, c'est même tout le contraire, et c'est pourquoi son nom n'est jamais vraiment arrivé sur le devant de la scène.
En fait, la raison pour laquelle Carter l'a engagé est principalement, selon Taborn lui-même, qu'il n'y avait pas tellement de pianistes de jazz de son age à Détroit, et il aura suffit à Carter d'entendre Taborn jouer du bebop en club pour l'intéresser. Pourtant, les références de Taborn sont tout autres que celles de Carter : Sun Ra, l'AACM, Braxton, Taylor, et un goût pour la musique rock de son époque (Hüsker Dü, The Replacements...), ainsi que pour la techno naissante qui le fascine. Voilà donc notre Craig qui, en plus de jouer du piano, se met au synthétizer Moog et à la musique électronique.
Après avoir quitté Carter, Craig Taborn sort deux premiers disques qui laissent franchement entendre son talent au piano, tout en étant assez inventifs. Puis, à partir du troisième, "Junk magic"en 2004, il bascule carrément dans le vrai jazz créatif, plus proche de l'ambient et du free rock que du revival hard bop et, libéré de sa virtuosité, crée des atmosphères , atmosphères... mais oui, il a bien une gueule d'atmosphère !
N'étant pas intéressé par le fric, sinon sa voie était toute tracée, il enregistre peu de disques sous son nom, et on le trouve surtout comme sideman chez Roscoe Mitchell, ou encore chez David Torn (sur le fantastique "Prezens") et chez Tim Berne (notamment sur le superbe "Science Friction"), deux artistes de la scène free actuelle (tendance John Zorn). De plus , on le retrouve sur des disques de rock (avec Greg Norton, un ancien de Hüsker Dü, sur "Gang font featuring Interloper"), et de techno (l' Innerzone Orchestra de Carl Craig sur "Programmed").
Pour vous faire une idée de l'étendue de registre de cet artiste majeur de la musique actuelle, voici un florilège de ce dont il est capable :
- "Bodies we came out of - Part one", en trio, encore assez classique, sur son deuxième album, "Light made lighter" en 2001.
- "Junk Magic" sur l'album du même nom, complètement différent, en 2004.
- Un extrait de "Prezens" en video, en concert avec David Torn et Tim Berne.
- Et enfin, une vidéo de concert aveg Gang Font.
Voilà... c'est là pour moi, que réside le jazz actuel, car je dirais, en paraphrasant Cecil Taylor : "Je ne sais pas ce qu'est le jazz actuel, mais ce que je sais, c'est que ce qu'on appelle jazz actuellement, n'en est pas !"
Je vous engage à découvrir ce qu'ont écrit mes collègues du Z-Band sur le sujet "Noires et blanches en couleur" :
- Z et le jazz : Bheki Mseleku
- Ptilou : Jean-Michel Pilc
- Native dancer : Sylvie Courvoisier
- Maître chronique : Bojan Z
- L'ivre d'images : Marc Copland
- Jazz à Paris : Jobic Le Masson
- Jazz Frisson : Marco Benevento
- Belette & Jazz : Andy Emler
Citation très judicieuse du grand Cecil
RépondreSupprimerj'ai souvent vu Carter au début des nineties et j'ai sans doute vu Taborn avec lui... Et c'est un grand souvenir que ces passages de Carter au new Morning que ,hélas je n'ai plus revu depuis au moins 5 ans...
RépondreSupprimerJe vais m'empresser de reprendre contact avec ce pianiste...
En écoute par hasard ce Craig Taborn, sur un bootleg de "Clownfinger" avec aussi Tim Berne, Herb Robertson, Marc Ducret Scott Colley et Tom Rainey, fine équipe s'il en est. Au milieu de tous ces monstres, il faut bien dire qu'il se défend. Merci pour la bio et les conseils d'écoute...
RépondreSupprimerSalut M'sieur Bill.
RépondreSupprimerJ'ai pris un cours de rattrapage là :
http://fluxjazz.canalblog.com/archives/2010/02/19/16929719.html
Merci du conseil.