En ce moment les grands noms du jazz tombent comme des mouches ; il est urgent d'aller les voir en concert dès qu'on en a l'occasion. L'avantage des artistes de free jazz sur les artistes mainstream, c'est qu'ils jouent sans règle depuis tellement longtemps qu'ils arrivent toujours à nous surprendre ; alors que le mainstream ronronne et, ne pouvant se renouveler en profondeur, ne cesse de revenir en arrière. Ecoutez, par exemple, des grands comme Herbie Hancock, Wayne Shorter ou Keith Jarrett et comparez à ce qu'ils jouaient 40 ans plus tôt : dans le meilleur des cas c'est la même chose, dans le pire des cas c'est moins bien !
Il faut croire, par contre, que le free conserve. Je viens de voir en concert Rashied Ali (72 ans), Charles Gayle (68 ans) et William Parker ( un jeunot à côté des autres : 55 ans) : ils ont toujours une patate d'enfer et sont toujours aussi radicaux qu'à leurs débuts.
Ils ont joué une musique sans concession, pratiquement improvisée de bout en bout (un seul thème reconnaissable : Giant Steps de Coltrane), et ceci sans une trace de pose ou d'intellectualisme : les tripes étaient de sortie, un set "guts and soul" à la Albert Ayler, avec beaucoup de ferveur, de joie et de complicité.
Rashied Ali est le dernier batteur de Coltrane, et on peut dire que c'est son arrivée dans le groupe qui a permis à Trane de basculer définitivement dans le free. Charles Gayle a joué avec Cecil Taylor, et ce qui marque chez lui c'est le contraste entre son attitude détachée, humble et zen, et la fureur de son jeu. Quant à William Parker, on lui doit les moments les plus poétiques et intenses du concert, grâce notamment à son très subtil et original jeu d'archet.
J'aurais bien mis en écoute un morceau du fabuleux "New directions in modern music" de Rahied Ali (1973), le premier en leader après avoir joué en sideman pour Alice Coltrane, mais ce magnifique album ne comporte que deux morceaux d'une vingtaine de minutes chacun ; alors je me rabats sur un enregistrement du trio Ali, Gayle, Parker en hommage à Coltrane : "Touchin' on Trane" en 1991. Voici donc "Part E" tiré de cet album, qui est, de plus, beaucoup plus accessible que ce que je viens d'entendre en concert :
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