mardi 28 août 2007

Coltrane et les batteurs

Beaver Harris : "Tandis que nous jouions, un soir, j'étais tellement pris par l'énergie incroyable de sa musique, que dans mon excitation je heurtai le pied d'une de mes caisses et qu'une cymbale fut déséquilibrée. D'un seul coup, Trane s'arrêta de jouer, comme s'il avait aussitôt entendu que quelque chose n'allait pas. Il regarda mes caisses, puis il se mit à quatre pattes pour essayer de les fixer pendant que je continuais à jouer comme un fou." Le nom de ce batteur n'est pas important mais l'anecdote est révélatrice : pour Trane la batterie était essentielle. Il a mis du temps avant de trouver "le" batteur qu'il lui fallait. Coltrane appréciait beaucoup Philly Joe Jones, le batteur du quintette de Miles Davis dont il a fait partie ; aussi, quand il a commencé sa carrière en tant que leader il n'a eu de cesse de trouver un batteur puissant, occupant bien l'espace sonore comme Philly Joe. Après plusieurs essais qui le laissaient insatisfait, il a fini par trouver la perle rare : Elvin Jones.
Elvin Jones ressemble à quelque chose comme l'exact opposé de Trane : un véritable sauvage, jouant comme un fou furieux tandis que son leader semble toujours rester posé, même dans ses solos les plus extrèmes. Tout au plus voit-on le saxo de John monter de temps en temps vers le plafond alors que la furia d'Elvin évoque le diable de Tasmanie du cartoon. Pendant certains concerts, c'est à peine si on entend la basse et le piano. Il arrive d'ailleurs quelquefois à Trane de demander à McCoy Tyner et à Jimmy Garrison d'aller faire un tour pendant que lui et Elvin se font des impros d'une demi-heure.
Alors, pourquoi diable Elvin Jones n'a-t-il pas accompagné Trane jusqu'au bout, comme Jimmy Garrison, le bassiste qu'il avait aussi choisi avec beaucoup de soin ? Pour McCoy, on comprend, c'est un pianiste essentiel, c'est lui qui a mené John et le quartette vers les sommets du jazz modal, il avait beaucoup de choses à faire de son côté, alors il a pris son envol à partir du moment où la direction que Trane donnait à sa musique ne lui convenait plus.
Elvin lui, a été victime à la fois de son orgueil et de la passion de John pour la batterie et les percussions. Au contact de Michael Babatunde Olatunji, artiste d'origine africaine dirigeant un orchestre de percussion, Trane a commencé à envisager de jouer avec deux batteurs simultanément. C'est alors qu'intervient Rashied Ali. Un soir de concert où Elvin Jones est en retard, il demande à Trane de le laisser prendre sa place à la batterie. John accepte et l'expérience est concluante. Il ne s'agit pas de remplacer Jones, il est irremplaçable, et d'ailleurs Ali n'est pas aussi puissant que lui, il est différent. Selon Coltrane : "Rashied est un batteur multidirectionnel. Quelque direction que je prenne, il me suit exactement comme il faut."
Ces mots d'Elvin Jones permettent de comprendre son départ : "Je ne joue pas de la merde, moi ! Et Trane m'a foutu ce rigolo avec moi à la batterie, et il fallait rester des heures sur un seul morceau, à en être complètement crevé..."
Et voilà pourquoi Elvin manque si cruellement sur les derniers enregistrements de Coltrane.
En écoute : "The Drum Thing" tiré de l'album "Crescent" (1964), l'un des plus beaux de Trane avec le mythique quartet :

2 commentaires:

  1. Merci pour la leçon d'histoire !
    Elvin Jones, je viens justement de l'entendre sur l'album de Frank Foster, The Loud Minority.
    Ne connaissant que très peu Coltrane, je ne savais pas l'importance de ce batteur.

    Peace & Soul

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  2. C d'autant plus regrettable que ses albums solo sont excellents !

    Mais Blue Note exerce une politique de rareté, de confiscation de biens publics & de rétention d'archives !

    Des albums d'Elvin existent avec les futurs Stone Alliance : Don Alias, Gene Perla, Steve Grossman ; mais aussi Dave Liebmann, Joe Farrell, Jan Hammer & Chick Corea !!!

    A écouter aussi :"Outback" de Farrell avec Chick Corea, Airto, Elvin & Buster Msechazi Williams !

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