Mettons-nous un instant dans la peau d'un critique de jazz. Bon, je sais, c'est désagréable, ça gratte sec, et la crise allergique grave n'est pas loin. Essayons de tenir avec un zyrtec et posons-nous la question franchement : pourquoi est-ce si pénible de chroniquer un artiste free ? Eh bien, pour commencer, ces cons-là sont, à une exception près (Cecil Taylor), viscéralement incapable de s'en tenir à un style. Ils sont toujours en recherche et sont capables de tout et n'importe-quoi ! Alors finalement, à défaut de pouvoir les analyser de façon cohérente et de pouvoir les ranger dans des boîtes avec de jolies étiquettes colorées, la solution est simple : descendons-les en flamme dès qu'ils cessent d'être radicaux et qu'ils commencent à flirter avec d'autres musiques (funk, R'n'B, world ou autre).
Alors... qui est le prince des incompris ?
Taylor ? Non, lui il n'a pas changé, il est toujours ce même étranger, il partage la critique en deux : ceux qui adorent tout ce qu'il fait et ceux qui détestent tout ce qu'il fait. Pas d'hésitation, pas d'entre-deux, c'est un camp ou l'autre !
Ornette Coleman ? Non, chacune de ses phases ont leurs adeptes inconditionnels, mais il est rare de trouver un amateur pour dénigrer ce qui lui convient le moins. Total respect !
Archie Shepp ? Non : il est passé du free le plus radical au mainstream le plus lisse sans pour autant perdre la considération de la critique.
Non, le prince des incompris c'est Albert Ayler. Il commence dans des groupes de R'n'B, tout le monde trouve qu'il a un son et une façon de jouer des plus bizarres. Au moment où on commence à le reconnaître comme un des principaux innovateurs du saxo ténor, il reste à part, à cause de son répertoire de spirituals et des improvisations collectives orientées fanfare de Brass Band, jig irlandaise, marches ... Le classer jazz, on avait déjà du mal, voilà qu'on hésite même à le classer free jazz. Et quand enfin on commence à s'habituer, le voilà qui retourne au R'n'B dans un album intitulé "New Grass" ! Encore cet album garde-t-il une bonne critique (avec le temps, bien sûr, parce qu'à l'époque où il est sorti, il a été descendu en flamme...), essentiellement parce-qu'il semble cohérent : on peut le classifier R'n'B même s'il a peu de chance d'intéresser les fans du genre.
Pour l'album dont je veux vous parler maintenant, intitulé à tort par Impulse "The last album", c'est une autre paire de manches : pour la plupart des critiques, même les plus adeptes d'Albert Ayler, c'est du n'importe-quoi, une chatte n'y retrouverait pas ses petits, ça n'a ni queue ni tête ! On commence avec un morceau avec Ayler au bagpipe, en duo avec un guitariste de rock (Henry Vestine de Canned Heat), puis on embraye sur un morceaux avec de la poésie mi-parlée, mi chantée, et on alterne entre instrumentaux passionnés et morceaux chantés style R'n'B complètement barré. C'est vous dire si on est peu nombreux à apprécier ce disque, qui est d'ailleurs classé une étoile et demie sur AllMusic.
Eh bien moi, j'ose affirmer bien fort : des disques d'Albert Ayler c'est, mon colon, çui que j'préfère ! Et je vous aurait bien mis en écoute le plus beau des morceaux, "Water Music", mais on ne le trouve plus, malheureusement.
A la place, voici "All Love" :
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