lundi 22 octobre 2007

Bornes kilométriques


J'ai déjà beaucoup dégoisé sur Miles Davis dans ce blog, et pas toujours pour en dire du bien. Il faut dire que, si je suis en adoration devant certains de ses albums (en gros, ceux de la période 1949-1969), je déteste au moins autant les suivants.
Pour moi "Kind of blue"(1959) est l'un des sommets absolus du jazz, pourtant, bien qu'il fasse partie de mes premiers achats, j'ai mis beaucoup de temps à l'apprécier : c'est un chef d'oeuvre qui n'est parfaitement reconnu comme tel qu'après l'édification d'une base de culture jazz ; bref, il n'est pas accessible immédiatement.
Je recommande donc à ceux qui veulent s'initier au jazz avec Miles Davis de commencer par l'album "Milestones"(1958) ; ils y découvriront un morceau historique, celui qui donne son titre à l'album et dont le nom fut prémonitoire puisqu'il constitue effectivement une borne : un point de départ du jazz modal qui atteindra ensuite les sommets avec "Kind of blue" ainsi qu'avec les albums de Coltrane (Trane est d'ailleurs présent sur cet album, avec Cannonball Adderley à l'alto). Les autres morceaux de l'album sont de facture plus classique : des blues, donc très accessibles.
Milestones :

samedi 20 octobre 2007

La frite ! A l'huile d'A. Rashied

En ce moment les grands noms du jazz tombent comme des mouches ; il est urgent d'aller les voir en concert dès qu'on en a l'occasion. L'avantage des artistes de free jazz sur les artistes mainstream, c'est qu'ils jouent sans règle depuis tellement longtemps qu'ils arrivent toujours à nous surprendre ; alors que le mainstream ronronne et, ne pouvant se renouveler en profondeur, ne cesse de revenir en arrière. Ecoutez, par exemple, des grands comme Herbie Hancock, Wayne Shorter ou Keith Jarrett et comparez à ce qu'ils jouaient 40 ans plus tôt : dans le meilleur des cas c'est la même chose, dans le pire des cas c'est moins bien !
Il faut croire, par contre, que le free conserve. Je viens de voir en concert Rashied Ali (72 ans), Charles Gayle (68 ans) et William Parker ( un jeunot à côté des autres : 55 ans) : ils ont toujours une patate d'enfer et sont toujours aussi radicaux qu'à leurs débuts.
Ils ont joué une musique sans concession, pratiquement improvisée de bout en bout (un seul thème reconnaissable : Giant Steps de Coltrane), et ceci sans une trace de pose ou d'intellectualisme : les tripes étaient de sortie, un set "guts and soul" à la Albert Ayler, avec beaucoup de ferveur, de joie et de complicité.
Rashied Ali est le dernier batteur de Coltrane, et on peut dire que c'est son arrivée dans le groupe qui a permis à Trane de basculer définitivement dans le free. Charles Gayle a joué avec Cecil Taylor, et ce qui marque chez lui c'est le contraste entre son attitude détachée, humble et zen, et la fureur de son jeu. Quant à William Parker, on lui doit les moments les plus poétiques et intenses du concert, grâce notamment à son très subtil et original jeu d'archet.
J'aurais bien mis en écoute un morceau du fabuleux "New directions in modern music" de Rahied Ali (1973), le premier en leader après avoir joué en sideman pour Alice Coltrane, mais ce magnifique album ne comporte que deux morceaux d'une vingtaine de minutes chacun ; alors je me rabats sur un enregistrement du trio Ali, Gayle, Parker en hommage à Coltrane : "Touchin' on Trane" en 1991. Voici donc "Part E" tiré de cet album, qui est, de plus, beaucoup plus accessible que ce que je viens d'entendre en concert :

jeudi 18 octobre 2007

Many Rivers to cross


Sam Rivers fait partie d'un groupe d'artistes qui se restreint à vue d'oeil : celui des légendes octogénaires du jazz ! Il est né en 1923, a joué avec Billie Holiday, avec Dizzie Gillespie, avec Miles Davis, avec Cecil Taylor ! Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a bien traversé l'histoire du jazz.
Avant tout, Sam Rivers est un artiste d'avant-garde. Il est assez rapidement passé du hard bop le plus aventureux au free.
On lui doit notamment l'un des rares disques de libre improvisation collective en grand ensemble, 14 ans après "Free jazz" d'Ornette Coleman et 9 ans après "Ascension" de Coltrane : "Crystals" en 1974. Comme les deux autres, c'est un chef d'oeuvre et, comme des trois c'est le plus accessible, l'un pouvant mener à l'autre, je ne résiste pas à l'envie d'en faire écouter un morceau : "Bursts".

Malheureusement, le lien n'est plus valide et je ne trouve pas d'extrait de cet album. Voici un autre très beau morceau, "Involution", tiré de l'album "Dimensions & Extensions" de 1967 :

lundi 15 octobre 2007

Impressions soleil levant


En 1960, à l'issue d'une jam session, Coltrane demande à Wes Montgomery de se joindre à son quartet. Bien qu'appréciant beaucoup la musique de Trane, Wes refuse, il vient de se lancer dans une carrière solo et le succès arrive rapidement ; il n'est pas question pour lui de se contenter d'une place de sideman, alors qu'il a huit bouches à nourrir et qu'il travaille comme soudeur pendant la journée. Le calcul s'avère payant, il enregistrera en leader et ira de succès en succès au cours des années 60, à un rythme effréné, ce qui causera probablement sa mort, d'épuisement, en 1968.
Entre temps, il sera devenu une idole pour les jeunes guitaristes, une référence, lui l'autodidacte, qui avait couru s'acheter une guitare après avoir entendu jouer Charlie Christian, et dont le jeu si particulier avec le pouce lui a été quasiment imposé par sa femme afin qu'il évite de réveiller les gosses en s'entraînant. Même dans ses enregistrements les plus commerciaux il est fabuleux et il serait dommage de gacher son plaisir en le snobant.
Quant à son contact avec Coltrane, il en reste au moins un chef d'oeuvre : sa version de "Impressions" que je peux écouter en boucle pendant un temps infini. Régalez-vous :

samedi 13 octobre 2007

Laissez-vous pousser le Book


Booker Teleferro Ervin est ce saxophoniste au son si personnel, passionné et lyrique que l'on entend sur quelques-uns des meilleurs albums de Mingus, dont "Ah Um".
Dans les années 60 il a enregistré une vingtaine d'albums, tous magnifiques, dont une série aux titres inspirés de son prénom : "The Freedom Book", "The Blues Book", "The Song Book", "The Space Book"... "Sahpul Book".
Booker Ervin est malheureusement mort en 1970 à 39 ans d'une maladie des reins.
S'il est un saxophoniste qui est l'incarnation du blues, c'est bien lui ; en voici un superbe exemple : "Speak Low". Prenez le téléférique et laissez-vous guider vers les sommets !

mercredi 10 octobre 2007

Mea Culpa


J'ai mis beaucoup de temps à apprécier Herbie Hancock et la raison en est très simple. En 1983, Hancock casse la baraque avec un morceau intitulé "Rock it" et c'est la première fois qu'un artiste de jazz fait un hit qui passe sur MTV. J'étais en pleine adolescence et ne connaissais rien au jazz ; me voilà donc persuadé que c'est ça le jazz : cette méga daube vomitive ! Heureusement, cela ne m'a pas empêché de découvrir le jazz par la suite, mais par contre je suis resté persuadé que Herbie Hancock, que l'on décrivait comme une grande star du jazz, n'était rien d'autre qu'un gros nul. Cette idée était tellement ancrée dans mon esprit que j'ai même fait l'impasse pendant une quinzaine d'années sur le deuxième quintet de Miles Davis, uniquement parce que Hancock en faisait partie.
Enfin, un jour j'ai décidé d'aller contre mon préjugé et d'écouter "Nefertiti" de Davis. Quelle claque ! Non seulement cette musique était géniale, mais en plus je découvrais que Hancock (et aussi Wayne Shorter) en avait composé une grande partie. Ces disques de Miles sont maintenant mes préférés.
Etape suivante : les disques solos de Herbie Hancock de la même époque. Re claque ! Une boite à bijoux remplie de perles telles que "Takin' off" (le premier), "Inventions and dimensions", "My point of view", "Empyrean Isles" et Le grand chef d'oeuvre : "Maiden voyage". Voilà pour les années 60 : du hard bop progressif de rêve ! Dans la suite de sa discographie, je garde encore les fabuleux albums de jazz-funk, avec une préférence pour "Fat Albert Rotunda" (le premier, en 1969) et je jette tout le reste, étant donné que ce qui m'avait paru nul dans les années 80 ne me plait pas plus maintenant.
Moralité : il faut combattre ses préjugés, et tous ceux qui connaissent les premiers albums de Kool and the Gang (oui, oui, vous avez bien lu !) me comprennent.
En écoute : "Cantaloupe Island", tiré de "Empyrean Isles" (1964) avec Freddie Hubbard, Ron Carter et Tony Williams :

lundi 8 octobre 2007

Les quatre éléments

Selon moi, la musique est composée de quatre éléments : le cerveau (brain), les tripes (guts), le coeur (heart) et l'âme (soul). Aucun de ces éléments ne peut constituer seul une musique intéressante. Le cerveau seul : la musique de l'IRCAM (Boulez & co), chiant ! Les tripes seules : du punk hardcore sans invention, fatigant pour les oreilles. Le coeur seul : toutes les pires daubes, du genre adagios de musique classique à la flûte de pan. L'âme seule : le chant grégorien, bon... y'en a qui aiment !
En jazz, il existe un génie qui a su équilibrer à la perfection les quatre éléments : John Coltrane. Enlevez le cerveau : vous avez Pharoah Sanders et c'est encore excellent ; enlevez encore l'âme et vous avez Gato Barbieri, j'adore !
L'élément qui rapporte du pognon c'est bien sûr le coeur, un élément à doser avec modération. Prenons un exemple : vous avez Steve Reich dans votre maison de disque, c'est un élément prestigieux, encore un parfait équilibre, avec quand même une prédominance du cerveau ; vous voulez que ça rapporte un peu plus ? Ajoutez un peu de coeur, encore un peu... stop ! Vous avez Philip Glass : plus vendeur, tout en gardant l'indulgence de la critique. Comment vendre encore plus ? Poussez la manette du coeur à fond ! Ce n'est toujours pas l'idéal ? Bien sûr : pour faire un maximum de flouze il faut aussi mettre l'élément cerveau à zéro. Allons-y : le coeur à fond, le cerveau à zéro, qu'obtient-on : Richard Clayderman !
Pour obtenir de la bonne musique, il faut la combinaison parfaite d'au moins deux éléments autre que le coeur, dont on peut aisément se passer. Guts & soul : Albert Ayler ; brain & guts : John Zorn ; brain & soul : Sun Ra...
Reparlons un peu de Gato Barbieri : voilà un artiste qui vers le milieu des années 70 a basculé dans la daube (attention, je n'ai pas dit la dope, ce qui eut été préférable), un peu comme Santana mais avec une nuance de taille, la daube était présente dès le début chez Santana, alors que gato a fait quelques albums sans aucune concession ("Third world" par exemple). Ce basculement s'est fait de façon très simple : diminuons l'élément tripes (le son de saxo trituré à l'extrème) qui fait peur aux auditeurs et augmentons l'élément coeur déjà présent dans les thèmes, jusqu'à ce que ça dégouline ! Pour illustrer cette dérive, voici un morceau d'avant la chûte, intitulé "Bahia", tiré de l'album "Fenix", il y a déjà du savon, ça n'a pas commencé à glisser mais on sent que c'est limite, ce sont les tripes qui tiennent le tout. "Bahia" étant introuvable actuellement, voici "Tupac Amaru", tirée du même album :

samedi 6 octobre 2007

Ce qui m'a mu


Don Cherry est un artiste free. Il joue de toutes sortes d'instruments : de la trompette, bien sûr, mais aussi de la trompinette, du cornet, de la flûte de bois, du piano, du douss n'gouni (une harpe africaine à six cordes), des castagnettes, de l'accordéon diatonique, de la cornemuse... euh, excusez moi, je me suis un peu laissé emporter ! Même dans le choix des prénoms de ses enfants il est free : Eagle-Eye et Neneh ! Pourquoi pas Géronimo et Robert ? Il a commencé dans le quartette d'Ornette Coleman et c'est sur "Free jazz" que j'ai, pour la première fois entendu Don ; moi, du coup...secousse ! Cherry est la cerise sur le gâteau.
Sur l'album "Mu" paru en deux parties en 1969, Cherry joue de la trompette, de la flûte et du piano en duo avec Ed Blackwell à la batterie et, contrairement à ce qu'on pourrait penser, on ne s'ennuie pas une minute.
En voici un extrait :
P.S. Il semblerait que j'ai semé, bien malgré moi, quelques jeux de mots malencontreux. Tout ce que je peux espérer est qu'ils passent inaperçus...

jeudi 4 octobre 2007

Nat et Cannonball, adore-les !


Connaissez- vous "Sing sing song" de Claude Nougaro ? Superbe morceau, non ? Eh bien l'original est "Work song", un tube du Cannonball Adderley Quintet, composé par le frère de Cannonball : Nat. Ce quintette a fait les beaux jours du hard bop dans les années 60. Quant à son leader, il a fait partie du quintette de Miles Davis (il joue sur "Kind of blue") en même temps que Coltrane dont il a fait sa deuxième source d'inspiration après Parker.
Cannonball a toujours eu énormément de succès, grâce à sa bonhommie rondelette, son jeu exhubérant et joyeux, et des prestations scéniques chaleureuses. Il aimait présenter les titres de façon pédagogique et amusante. Sa musique a atteint des sommets lorsqu'il a engagé Yussef Lateef en plus du quintette. Cannonball est mort de complications de son diabète en 1975 au moment même où sa musique commençait elle-aussi à souffrir d'un excès de sucre.
Voici une superbe version de "Work song" enregistrée en concert en belgique en 1962 :